I
Aie confiance
Ce jour-là, le soleil était chaud et élevé dans le ciel. Journée idéale pour un peu de tourisme. C’est ce que ce sont dit les quelques personnes qui visitaient le beffroi de Douai. C’était, en effet, parfait pour étudier, d’un œil curieux, l’architecture impressionnante du bâtiment moyenâgeux. Et puis, on pouvait aussi rencontrer Gayant, géant symbolique et protecteur de la ville. Avec un peu de chance, le guide permettait de sonner les cloches. Cela donnait une drôle d’impression de penser que tout Douai entendait le son que vous produisiez en simple touriste.
Les personnes, composant le groupe de ce jour merveilleux, étaient venues jusque là, par hasard ou par envie de découvrir un des plus beaux géants du monde, ou pour d’autres raisons encore. Beaucoup étaient là en couple, en famille ou entre amis. Deux seulement étaient des solitaires. Qui aurait cru que ce jour radieux allait changé la vie de ces deux hommes ? Que le destin de deux parfaits inconnus, dans une foule de monde tout à fait banale, allait décider de les réunir et d’en faire des êtres d’exceptions ?
L’un était Français. Il était cependant né en Égypte, près du Canal de Suez, dans une famille fortunée et sans envie de retourner en France. Une fois adulte, la tentation de connaître sa patrie l’emporta sur celle de rester en Afrique où la vie semblait tellement facile. Ainsi, il était à la quête de sa culture vraie, pour se débarrasser d’une autre qui ne lui revenait pas de droit.
L’autre était Marocain. Pourtant, il était né en Belgique, dans le Hainaut, où il avait vécu toute sa vie. Au fond de lui, il se sentait plus Belge qu’Africain. Hélas, il avait cette couleur de peau qui trahissait ses origines. Bien au contraire de ce que l’on pourrait penser, il ne connaissait aucun mot arabe, il n’avait jamais mis les pieds au Maroc et il était totalement athée.
Une visite d’une telle valeur sous un ciel aussi resplendissant se doit de se terminer par un petit verre au premier café du coin. Justement, une taverne était proposée aux visiteurs qui ne tardèrent pas à s’installer sur la terrasse ensoleillée.
Notre Français prit une table, à part des autres. Il commanda un thé glacé. Quand le garçon arriva avec la boisson fraîche, un homme au teint basané s’avança aussi vers cette table, un verre à la amin. Il attendit que le serveur fut parti pour demander :
« Verriez-vous un inconvénient à ce que je m’asseye à vos côtés, cher monsieur ? »
D’abord surpris, l’intéressé ne répondit rien mais finit par approuver d’un signe de la tête. Et l’autre s’assit. Un bref silence plana sur la table. Puis, l’homme basané, qui, en fait, est notre Belge, engagea la conversation.
« D’où venez-vous ? Enfin, si ce n’est pas une question indiscrète. Oh, en fait, je m’appelle Milès.
— Eh bien, Milès, vous me semblez fort curieux. Mais néanmoins, je vous répondrez parce que vous me plaisez bien. Je me nomme Jérémie. Ce qui est de mes origines, j’aimerai vous répondre “d’ici” mais c’est bien plus compliqué que ça. Et j’imagine bien que ma vie ne vous porte aucun intérêt. »
Jérémie avait hésité avant de répondre ça. Jamais encore, il ne s’était vraiment posé la question. D’où venait-il ? Venait-il d’Égypte ? Pas vraiment, même si la vie avait semblé si simple, il ne s’y était jamais senti à sa place. De France alors ? Bien que tout portait à le croire, il n’en était pas sûr. Ses parents étaient Français de pure souche, sa sœur Alexandra était née en France et y vivait. Mais lui !?! Il était né en Égypte et il n’était en France que depuis trois ans. Pourtant, il était Français…
Milès vit la confusion se marquer sur le visage de son interlocuteur. Il se maudit d’avoir posé une question qui semblait aussi embarrassante. Il tenta alors de se rattraper.
« Je vous posais cette question car il me semble vous avoir déjà vu quelque part. Peut-être à la télé ?
— C’est fort probable, en effet. J’ai récemment passé une interview. Peut-être connaissez-vous mieux mon pseudonyme : Jiji ?
— Ah oui, ça me revient maintenant. Vous êtes ce nouvel artiste qui vient de sortir un single dernièrement ? Si ma mémoire est bonne, une chanson mi-arabe mi-française. »
Jérémie sauta de joie. Son single était déjà passé loin. Il ignorait que même dans le Nord, on le connaissait. C’était prometteur. Qui l’eût cru ?
L’artiste remarqua un large et chaleureux sourire qui s’était formé sur les lèvres du Belge. Ses yeux pétillaient aussi. Non, en fait, ils flamboyaient. Jiji inspecta, assez inconsciemment, chaque détail du visage qu’il avait en face de lui. Ses cheveux étaient coupés courts et étaient de couleur d’ébène. On pouvait quand même se rendre compte qu’ils étaient crollés. Les oreilles étaient rondes et grandes. La mâchoire était imposante, sous une barbe dignement rasée, mais adoucie par un regard et un sourire chaleureux. La bouche était bien dessinée et les petites lèvres brillaient. L’arête du nez était bien droite, alors que les narines étaient ce qu’il y avait de moins droit. Les yeux éclataient de magnificence, ils étaient vert émeraude avec un petit rien de brun. Les sourcils étaient longs et fins, mais pas sévères. La couleur de peau, associée à tout ça, transformait la face en un merveilleux soleil qui brûlerait les yeux des personnes qui ne pourraient se lasser de l’admirer.
Jérémie resta stupéfait devant ce sublime visage. Celui-ci reflétait l douceur mais prévenait aussi qu’il ne se laissait pas facilement marcher sur les pieds.
Soudain, le chanteur se rendit compte qu’il venait de dévisager son partenaire. Il baissa les yeux.
« Veuillez m’excuser. Je viens de vous dévisager de façon impolie. J’avoue que votre visage m’émerveille »
Milès fut surpris de cette réponse. Pendant un quart de seconde, il se demanda s’il était tombé sur un fou ou peut-être était-il homosexuel. Mais il s’interdit après de continuer à penser de la sorte. Au fond, ce n’était qu’un compliment. De quel droit pouvait-il interdire aux hommes de le complimenter ?
Il sourit pour répondre.
« C’est bien la première fois que l’on me fait un tel compliment. Vous m’en voyez flatté. »
Il sourit de plus belle.
Jiji le fixa encore un moment en trouvant ce visage souriant de plus en plsu attrayant. Tout à coup, il se rappela ce qu’avait dit le Belge juste avant qu’il ne tombe dans sa rêverie et se hâta d’y répondre.
« Euh oui, en effet, j’ai sorti mon premier single qui est à moitié en arabe et à moitié en français. »
Milès prit un air ahuri, sur ce changement soudain de conversation. Puis, il se mit à pouffer.
« Eh bien, vous êtes bien surprenant. Et rêveur, de surcroît. N’est-ce pas une tare pour un artiste ?
— Que non ! Si l’on n’est pas rêveur, comment peut-on imaginer une œuvre ?
— Je pensais juste que c’était ainsi que pensait un chanteur. Mais je vous donne tout à fait raison. »
Milès se leva et rangea sa chaise sous la table.
« Bon sur ce, je vais vous laisser. Il se fait tard et je dois encore rouler jusqu’à Mons, en Belgique. Cependant, je ne vous quitterai pas sans un autographe. »
Il sortit un bout de papier de sa poche ainsi qu’un stylo, et les déposa devant Jérémie. Celui-ci regarda tour à tour Milès, le bis et la feuille. Il prit une inspiration et dit en souriant :
« Il n’est pas question que l’on se quitte de cette manière, mon cher Milès. Je vous laisse mon numéro de portable et même le fixe de ma sœur, chez qui je vis pour le moment. Je vous apprécie beaucoup. Sachez que je n’ai jamais ressenti ça pour un inconnu. Et appelez-moi le plus tôt possible, d’accord ? »
Ce fut au tour de Milès de rester abasourdi lorsque Jiji lui tendit la papier avec des numéros et des commentaires dessus. Mais il se reprit.
« Eh bien… ! Merci, je n’en attendais pas autant. Je suppose que les bonnes manières veulent que je vous donne mes numéros. »
Il coupa la moitié de la feuille et écrivit ses numéros de fixe et de portable.
Milès retourna sur le parking pour rentrer chez lui. Jérémie le regarda avec un sentiment nouveau pour lui. Avec une regard rêveur, il observa le départ du Belge. Il remarqua que celui-ci était un homme grand et bien bâti, pas comme lui qui était de taille moyenne mais frêle.